Ce dossier traite de la guerre du Vietnam et plus particulièrement des mouvements d’opposition au sein de l’armée et sur le territoire des Etats-Unis. Les archives sont constituées à la fois de documents (questionnaires et journaux) clandestins produits par les soldats de l’armée américaine et de tracts et de journaux d’opposition à la guerre produits aux Etats-Unis. Les documents sélectionnés, peu exploités jusqu'ici, ont été donnés à la BDIC par François Lasquin (1945-2006), un traducteur littéraire anglais. Il est question de l’état d’esprit des soldats américains la fin de la guerre (les journaux datent de 1970-1971), et des mouvements de contestations dans l’armée.
La guerre du Vietnam est un conflit qui opposa la république du Vietnam, soutenue par les Etats-Unis, à la république démocratique du Vietnam, soutenue par l’URSS et la Chine, de 1955 à 1975.
Ce conflit armé est d’abord idéologique - parce qu’il oppose le bloc de l’Est communiste aux Etats-Unis et ses alliés, qui prônent un capitalisme libéral; c’est aussi un conflit de puissance car le monde est divisé par l’adhésion ou non à ces deux superpuissances (les Etats-Unis et l’URSS) qui luttent pour accroitre leur influence au sein d’un monde qualifié de bipolaire. Dans les années 70, cette lutte se fait par pays interposés, et oppose clairement le Vietnam du Nord communiste, soutenu par l’URSS et la Chine, au sud du pays qui amorce une logique capitaliste, soutenu par les Etats-Unis et ses alliés. La guerre a engendré des mouvements de contestation sur le territoire américain ainsi que dans l'armée.
Les Etats-Unis n’interviennent massivement qu’à partir de 1965, après la résolution du golfe du Tonkin, que le président Johnson a contribué massivement à une escalade du conflit, on passe de 3.500 soldats américains déployés en mars 1965 à 200.000 en décembre de la même année. Du milieu à la fin des années 1960, on passe alors d’un conflit qui semble lointain et secondaire à une guerre qui prend des proportions démesurées à mesure que les Américains envoient toujours plus de soldats et de matériel et qui se répercute sur l’opinion publique du territoire américain.
Certaines organisations sont pacifistes et opposées à toute forme de guerre tandis que d’autres critiquent la politique du gouvernement et ses objectifs flous. Elles sont pacifistes et farouchement opposés à la guerre du Vietnam mais leurs objectifs ne se réduisent pas seulement à la lutte contre la guerre. Ils militent notamment pour les droits des afro-américains. Ces mobilisations, bien qu’elles soient arrivées à influencer l'opinion, peinent à se structurer de manière homogène. De 1965 à 1967, la guerre du Vietnam occupe une place croissante au sein de la société américaine. Mais les mouvements d’opposition sont toujours divisés alors qu’une grande partie des américains continue de soutenir la guerre.
À mesure que la guerre s’éternise, l’armée américaine est le foyer de plus en plus de dissidents, la conscription recrutant des civils parfois opposés à la guerre depuis leur enrôlement. Les vétérans qui s’attendaient à être remerciés sont très mal accueillis à cause de la médiatisation des exactions lors du conflit. C’est principalement par de tels soldats qu’est créée l’organisation « Vietnam Veterans Against the War ».
Ces documents montrent une opposition peu visible au début de la guerre, mais qui s’organise au sein de l’association « Vietnam Veterans against the war ».Ces vétérans souhaitent montrer à la société américaine que le fait d’avoir participé à cette guerre ne signifie pas que l’on adhérait aux idées de l’état-major et du gouvernement. Ils vont devenir le centre de l'opposition à la guerre sur le territoire américain.
Dossier réalisé par Pierre Le borgne et Baptiste Lehman, étudiants de L3 Histoire. Cours "Histoire en action". Université Paris-Nanterre.
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Aboveground Avril 1970
BDIC. Etats-Unis. Guerre du Vietnam. (1961-1975). Opposition. Soldats. F delta 805/9
Quand le refus de combattre devient presque impossible du fait de la conscription, la contestation de la guerre vient de l’intérieur.
Aboveground est un journal qui s’engage contre la guerre du Vietnam. Il est publié clandestinement à Fort Carson, dans le Colorado. Cette base pour le renseignement opérationnel au Vietnam, où beaucoup de vétérans sont stationnés à leur retour de campagne, est un poste « facile », qui sert à faciliter la transition du front vers la vie civile. Les deux principaux auteurs en sont Tom Roberts et Curt Stocker. Le journal est tapé et imprimé illégalement à partir de machines à écrire de la base, sur des feuilles volantes, pour ainsi mieux préserver l’anonymat des auteurs.
Ce document est constitué de réponses que le président américain Richard Nixon a apportées à des questions posées par le peuple américain le 3 Novembre 1969, à la suite d’un discours énoncé avant une manifestation de grande envergure contre la guerre du Vietnam à Washington DC. Il contient également une lettre écrite par un lecteur du journal. Ce dernier utilise des arguments moraux et religieux pour justifier l’arrêt des hostilités. Cette approche est typique du mouvement hippie des années 1960-1970.
Ce document montre que Nixon essaie de reporter les fautes commises au Vietnam sur l’administration précédente, et qu’il veut « calmer le jeu » en laissant les vietnamiens négocier entre eux, s’inscrivant aussi dans un contexte plus grand de détente avec Moscou qui avait commencé après la crise de Cuba de 1962. Durant son premier mandat il amorce un processus de retrait très progressif au Vietnam, ralentissant le flot de nouveaux soldats après la victoire difficile de la contre-offensive du Têt de 1968 (l’offensive initiale avait été menée par les forces communistes le jour du Têt, le nouvel an vietnamien).
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Aboveground Avril 1970 (2)
BDIC. Etats-Unis. Guerre du Vietnam. (1961-1975). Opposition. Soldats. F delta 805/9
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Tract "Say it for Willie" Avril 1971
BDIC. Etats-Unis. Guerre du Vietnam. (1961-1975). Opposition. Soldats. F delta 805/23
Certains activistes étaient eux-mêmes des vétérans du Vietnam comme en témoigne l'Organisation des vétérans du Vietnam contre la guerre. Ce prospectus de « Vietnam veterans against the war », une association à but non lucratif formée en 1967 pour lutter contre la politique du gouvernement et la guerre du Vietnam. Ses adhérents militent pour un retrait des troupes américaines du Vietnam et pour les droits des vétérans. L’association s’oppose à la guerre en raison de l'absence d'objectifs clairs, et parce qu'elle apparait alors vouée à l'échec. Elle atteint presque 25000 bénévoles vétérans en 1971.
La date « Avril 18-23 » prévoit une manifestation de plusieurs jours, qui aura bien lieu, le 24 avril 1971. La manifestation devient une marche gigantesque qui regroupe environ 200.000 personnes à Washington D.C et 160.000 à San Francisco..
L'expression « Say it for Willie » est un hommage au Caporal William D. Morgan, un homme blanc de 21 ans, originaire de Pennsylvanie, tué au cours d’une escarmouche lors de l’opération Dewey Canyon, et qui recevra la « Medal of Honor » à titre posthume.
Le tract a un caractère simpliste afin d’être percutant, le dessin cherche à provoquer l’indignation pour le gâchis des vies de jeunes Américains.On remarque également cette même tendance sur l’emblème de l’association (en haut à gauche). La forme de bouclier ainsi que les créneaux (de château) à gauche et à droite symbolisent la volonté et le devoir de l’armée de se dresser comme un mur protégeant les citoyens américains. En revanche, le fusil surmonté d’un casque, au centre, représente une réalité, le prix que ces soldats ont à payer pour défendre leur pays. C’est en effet en plantant un fusil, surmonté d’un casque, dans le sol que les soldats signalaient là où ils avaient enterré un camarade tué.
Le dessin représente un des camarades de William Morgan, à côté de lui alors qu’il agonise, et qui lui dit « Ecoute Willie, je sais bien que ce sont tes derniers mots, mais je vais pas pouvoir dire ça au président Nixon ! ». On ne trouve aucune référence aux derniers mots du Caporal Morgan dans sa citation pour la Medal of Honor, mais on peut deviner grâce à la réponse de son camarade que ses mots, sûrement inventés pour ce tract, seraient soit injurieux à l’égard du président Nixon, soit pacifistes, contre le gâchis d’autres vies américaines.
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Vietnam Veterans Against the War questionnaire.
BDIC. . Etats-Unis. Guerre du Vietnam. (1961-1975). Opposition. Soldats F805/22 et F805/23. Avril 1970
Dans ce questionnaire distribué aux vétérans à leur retour vers les Etats-Unis, des questions très précises révèlent ce que les soldats pensent de la conduite de la guerre et témoignent du quotidien d’un soldat au Vietnam : une routine très dure qui ne les aide pas à se réintégrer après leur service dans la société américaine, dans sa grande majorité protégée et isolée loin du conflit. C’est un sentiment partagé encore aujourd’hui pour les vétérans des conflits plus récents d’Irak et d’Afghanistan, que les soldats illustrent notamment par la célèbre phrase : « America isn’t at war, its soldiers are. America is at the mall » qui peut se traduire en français par : « L’Amérique n’est pas partie en guerre, ses soldats le sont. L’Amérique est partie au centre commercial ». Cette expression dénote bien le décalage complet qui existe entre la population américaine, isolée dans sa consommation de masse, et les soldats américains pendant la guerre.
Au Vietnam même, les soldats du rang éprouvent une frustration de plus en plus grande à l’égard des officiers de la hiérarchie, qui en demandent de plus en plus sans pourtant prendre aucun risque. Le stress et parfois la paranoïa que les soldats développent pendant leur service se répercutent sur les populations civiles. A « My Lai » le 16 Mars 1968, des soldats américains procèdent au massacre d’environ 400 civils. Des « incidents » comme ceux-ci ne font que s’ajouter à la politique militaire agressive des États-Unis, qui comprend des bombardements de populations civiles, la dispersion d’agents chimiques, l'empoisonnement des puits…
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Vietnam Veterans Against the War questionnaire. (2)
Quelques questions particulièrement pertinentes:
Avez-vous déjà participé ou été témoin:
-D’une mission de « Recherche et Destruction » (le meurtre sans discrimination de tous les vietnamiens considérés « suspects » dans une zone donnée)
-De l’incendie d’un village?
-De la destruction de champs cultivé
-Du meurtre de villageois?
Votre unité a-t-elle déjà transporté des agents chimiques? Lesquels? Où et pour quelle raison ont-ils été utilisés?
Votre unité a-t-elle distribué de la nourriture contaminée plus que de coutume?
Les prisonniers de guerre ont-ils reçu une assistance médicale? Ont-ils été torturés?
Avez-vous déjà été témoin de l’exécution de prisonniers?
Avez-vous déjà vu des prisonniers êtres jetés d’hélicoptères?
Quelle a été l’attitude de votre unité envers les civils?
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Vietnam Veterans Against the War questionnaire. (3)
Les questions plus spécifiques, comme celles se rapportant à la torture ou aux prisonniers jetés d’hélicoptères indiquent que ces comportements étaient connus au sein de l’armée américaine, peut-être même réguliers, assez en tout cas pour être abordés spécifiquement dans ce questionnaire, établi par d’anciens soldats américains revenus du Vietnam.
L’agent chimique utilisé par les américains au Vietnam est principalement « l’Agent Orange », un désherbant industriel dispersé de 1962 à 1971 par des hélicoptères ou par des avions volant à basse altitude. Initialement considéré inoffensif pour l’être humain et utilisé pour détruire de larges parties de jungle et ainsi empêcher les combattants vietcong de s’y cacher, nous savons aujourd'hui que son exposition produit de très graves déformations génétiques chez les nouveau-nés. Le public américain n’a pas été au courant de l’utilisation d’agents chimiques au Vietnam avant 1965.
Ces questions mettent également l’accent sur une politique militaire américaine se trouvant en total désaccord avec les conventions internationales sur la guerre (Genève en 1929 et 1949) sur les droits des prisonniers de guerre (désignés par l’acronyme POW pour « Prisoners Of War » dans les textes en anglais) et la protection des civils dans le cadre de conflits armés.
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Vietnam: A thousand years of struggle (magazine)
BDIC. Etats-Unis. Guerre du vietnam. opposition. F delta 806/25. 1969
Devant le bilan lourd des pertes civiles au Vietnam, certains américains choisissent de se placer du côté du peuple vietnamien pour dénoncer la politique américaine. Le magazine, Vietnam: A thousand years of struggle, a été écrit par Terry Cannon, qui faisait partie du parti communiste américain, l’une des premières sources de contestation de la conduite de la guerre.
Le texte est très partisan, en faveur des vietnamiens et des communistes. Il décrit un millénaire de violences perpétrées au Vietnam par ses oppresseurs successifs. Le Vietnam a en effet été l'enjeu d'un des plus violents conflits du XXe siècle, mais les auteurs de ce magazine veulent montrer qu’en tant qu'État, le Vietnam est plus ancien que les royaumes de France ou d’Espagne et qu'il ne peut donc être compris sans que ne soit pris en compte l'ensemble de sa dimension historique.
Sur la page de couverture, on retrouve le symbole des bras levés contre l’oppression ; le paysage, composé de plusieurs montagnes ainsi que d’une rivière, est probablement une référence à l’adage chinois popularisé par Mao au moment des grandes campagnes d’urbanisation des années 1960: « Make the high mountain bow its head; make the river yield the way » (Force la plus haute montagne à s’incliner; la rivière à céder le passage"). Cette phrase symbolise la force du peuple vietnamien...
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Vietnam: A thousand years of struggle (4eme de couverture)
...Ce dessin, en quatrième de couverture du magazine A thousand years of struggle, est produit à partir d’une photographie d’un officier vietcong prise en 1966, qui sera reprise à de nombreuses autres occasions. L’officier lève son fusil (russe) en signe de résistance, reflétant sa capacité à vaincre.
L'histoire du pays, remplie de luttes internes de guerres étrangères, a montré la capacité de résistance collective et l'aptitude au combat dans les conditions les plus dures, les plus difficiles, du peuple vietnamien. Après avoir été dominé et occupé durant un millénaire par la Chine, le Vietnam reste tributaire de celle-ci pendant huit siècles, avant de devenir colonie (la Cochinchine) et protectorat français (l'Annam et le Tonkin) au XIXe siècle. Scindé en deux États à l'issue de la guerre d'Indochine menée contre le colonisateur français de 1946 à 1954, le pays est de nouveau plongé, de 1965 à 1975, dans une guerre. Cette fois « envahi » (selon l’auteur) par les Etats-Unis.
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