La Première Guerre mondiale se distingue des conflits précédents par son ampleur, par la violence des combats, et par l’usage de nouvelles technologies meurtrières, telles que les obus ou les gaz. De 1914 à 1919, on dénombre 6.5 millions de soldats blessés, mutilés par la violence de la guerre. Invalides, amputés, borgnes ou aveugles, ce sont des hommes au corps traumatisé qui rentrent chez eux.
Au sortir de la guerre en 1919, ils sont plus de 3 000 à avoir perdu la vue. Ainsi André Dreux, dans Nos soldats aveugles, publié en 1915 par l’Association Valentin Haüy, décrit les causes de la cécité de guerre : « Balles, éclats d’obus vidant les yeux, graviers, débris de toutes sortes projetés sur le visage, brûlures provenant d’explosions, commotions résultant d’un simple passage du projectile, enfin blessure singulière et relativement fréquente, une balle atteignant exactement la tempe et traversant la tête sans tuer le blessé, mais tranchant le nerf optique : aucune guerre n’aura fait autant d’aveugles. »1 La question qui se pose est alors la suivante : de quelle manière les aveugles de guerre sont-ils réinsérés dans la société après leur retour ?
Dès 1915, alors que les combats font rage, la société civile, de même que le gouvernement, mettent en place une série d’initiatives pour venir en aide aux mutilés. Ce dossier a pour objectif de présenter, à travers des documents originaux conservés à La contemporaine, quelques témoignages de ces efforts sous divers aspects.
C’est en particulier aux soldats aveugles qu’une aide est apportée ; à titre de comparaison, la réaction est beaucoup plus lente et controversée lorsqu’il s’agit de venir en aide aux gueules cassées, dont les blessures effraient les familles et les soldats eux-mêmes.
Les hôpitaux et les centres de rééducation s’organisent pour accueillir les blessés et les soigner si leurs blessures le permettent; les techniques de soins de l’avant-guerre sont mobilisées et parfois, améliorées par les médecins et ingénieurs. Les inventions et nouvelles méthodes pour permettre aux aveugles d’écrire et de lire foisonnent, et étendent le champ des possibilités en la matière. Ces mêmes centres de rééducation, de même que les associations qui se créent pendant le conflit, proposent aux aveugles des ateliers d’apprentissage de métiers relevant, par exemple, de l’artisanat, mais aussi de professions paramédicales ou intellectuelles. Ces formations ont pour objectif de faciliter la réinsertion professionnelle des soldats aveugles, d’autant plus que beaucoup d’entre eux ont à leur charge une famille à nourrir.
Par ailleurs, les journaux d’initiative privée, consacrés à la cause des aveugles, à la diffusion d’informations les concernant, et leur assurant un soutien moral, apparaissent pendant le conflit. Ils ont également pour objectif de créer du lien social entre les aveugles et leurs familles, et parfois, de collecter des fonds pour défendre leur cause.
Enfin, de son côté, le gouvernement légifère en faveur des blessés, de leur réinsertion sociale, ou des compensations financières qui leur sont dues pour leurs blessures de guerre. Ces efforts conjoints de plusieurs secteurs de la société française témoignent ainsi d’un réel intérêt pour la cause des aveugles de guerre.
1 Voir le site de l’association Valentin Haüy pour retrouver la citation dans son contexte : http://www.aveuglesdeguerre.org/la-grande-guerre-trois-mille-soldats-revenus-aveugles-_r_28_a_22.html
Dossier réalisé par Oriane Prévost, Anissa Najar, Madeleine Perrin, étudiantes de licence 3, Université Paris-Nanterre, dans le cadre du parcours personnalisé établissement "Conduire un projet culturel avec les collections de La contemporaine".
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Aveugle apprenant à composer
Paris. Centre de rééducation des aveugles de guerre, 75 rue de Reuilly. Aveugle apprenant à composer. (VAL 387/021)
Les soldats devenus aveugles pendant la guerre ne connaissent pas le système Braille, qui d’ailleurs ne leur permettrait pas de communiquer avec leurs proches qui ne le connaissent pas non plus. Un nouveau système est alors inventé, pour permettre à la fois aux aveugles d’écrire et lire facilement tout en étant compris par tous, même ceux qui ne maîtrisent pas le Braille. Cette méthode consiste à utiliser une tablette de cuivre composée de petites cases qui servent de base pour tracer les lettres à travers une feuille, blanche ou teintée.
À l’hôpital des Quinze-Vingt a notamment été créée une machine à écrire qui transpose à côté des lettres leur équivalent en Braille, ce qui permet à ceux qui ne maîtrisent pas ce système d’imprimer des textes en Braille. Cela permet aussi aux aveugles d’apprendre à dactylographier.
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Union des aveugles de guerre
Bulletin mensuel de l'Union des aveugles de guerre et journal des soldats blessés aux yeux. N°8, 1919 8 P 606. Coll. La contemporaine. Licence ouverte.
Cette page du bulletin mensuel de l’Union des aveugles de guerre est dédiée à l’invention d’un outil de lecture pour les aveugles : l’optophone. Cet outils a été créé pour faciliter la lecture des aveugles, sans passer par les caractères en relief de Haüy et Braille. L’utilisation des caractères en relief est très coûteuse et très peu d’ouvrages sont traduits et imprimés dans cet alphabet. De plus certains aveugles ont aussi perdu la sensibilité du toucher et ne peuvent donc pas déchiffrer les caractères en relief. L’optophone est inventé par le docteur Fournier d’Albe, conférencier à l’université de Bangab Lahore suite à des recherches sur le sélénium découvert en 1817. L’aveugle pose le livre ou le document qu’il souhaite lire sur la plaque de verre et le texte est déchiffré par les rayons de sélénium qui les transforment en éléments sonores. Après 10 ou 12 leçons, le lecteur est en mesure de comprendre des mots et des phrases entières. L’optophone ne reconnait cependant que les écritures dactylographiées et imprimées. Le prix de l’optophone s’élève au minimum mille francs,ce qui laisse supposer que tous les soldats aveugles ne pouvaient y avoir accès.
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Appareil magnéto-électrique
[S.I.]. Appareil magnéto-électrique pour retirer des éclats de fer des yeux des blessés. Fonds Valois. VAL 509/10. Coll. La contemporaine. Licence ouverte.
Le visage est la partie du corps la plus exposée lors des combats dans les tranchées : les éclats d’obus causent des blessures oculaires et, souvent, les éclats de fer restent enfoncés dans l’œil. L’émergence de ce nouveau genre de blessure a donc nécessité une amélioration technique afin de développer des machines capables de soigner les blessés de guerre. L’appareil magnéto-électrique permet de soigner les blessés en retirant les éclats d’obus de leurs yeux.
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Atelier de vannerie
Paris. Hôpital annexe des Quinze-Vingt. Rue de Reuilly. Rééducation des soldats aveugles. Atelier de vannerie. Fonds Valois. VAL 374/065. Coll. La contemporaine. Licence libre.
La photo montre d’anciens soldats à l’ouvrage, assis sur des planches au sol. Ils portent des lunettes teintées, ils ont chacun leur canne accrochée avec leur veste. Ils fabriquent des paniers dans un atelier de vannerie de l’hôpital des Quinze-Vingts.
Cet hôpital crée de nombreux ateliers de rééducation et d’apprentissage pour permettre aux aveugles de la guerre d’acquérir un certain savoir-faire dans différents domaines et ainsi retrouver une vie active malgré leur cécité. Il y a, notamment, un atelier de vannerie, de rempaillage, de cannage, une école de massage, de dactylographie…
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Comité franco-américain pour les aveugles de guerre
Paris. Comité franco-américain pour les aveugles de guerre. Rue Daru. Ecole de dactylographes. Debout, Mlle Holt, présidente du comité. Fonds Valois. VAL 368/075. Coll. La contemporaine. Licence ouverte.
La photographie donne un aperçu d’un atelier de dactylographie, comme l’atteste la présence d’une machine à écrire au premier plan, sur une table de travail devant laquelle est assis un soldat, entouré d’infirmières. Debout, la présidente du comité franco-américain, Mlle Holt, supervise l’ensemble de la salle, où l’on distingue d’autres aveugles, eux-mêmes accompagnés d’infirmières. Plusieurs soldats conservent leur uniforme, ce qui met en valeur leur participation récente à la guerre. En 1915, dans la Revue des Deux Mondes, un article de P. Villey intitulé « La réadaptation des soldats mutilés et aveugles à la vie utile » présente le comité de la façon suivante : « Au nom de généreux amis que la France compte aux États-Unis, le Comité franco-américain pour les aveugles de la guerre, présidé par une bienfaitrice très connue des aveugles de New-York, se propose de venir en aide à une classe particulièrement intéressante de nos officiers et soldats frappés de cécité, ceux qui, en raison de leur culture intellectuelle, doivent chercher pour leur activité un débouché autre que les métiers manuels. ». La solidarité se manifeste à l’échelle internationale envers les aveugles de guerre, et les champs de reconversion de ces derniers ne se limitent pas aux métiers de l’artisanat.
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Ecole de massage des soldats aveugles
École de massage des soldats aveugles...[Rapports]. Paris, 64 rue de Miromesnil, 1917-1918. O PIECE 13873. Coll. La contemporaine. Licence ouverte.
Cette image illustre une des leçons dispensées par cette école de massage des soldats aveugles de guerre. Les lits des malades reçus dans la clinique sont entreposés dans un grand dortoir. Les élèves sont pris en photo en train de manipuler des malades ou des élèves qui jouent le rôle de malades. Les deux élèves présents au premier plan sont accompagnés d’un professeur ou d’un médecin reconnaissable à sa blouse blanche. Il guide les mains des élèves sur les parties du corps des malades.
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Projet de loi
Année 1919 - Bulletin mensuel de l'Union des aveugles de guerre et journal des soldats blessés aux yeux . 8 P 606. Coll. La contemporaine. Licence ouverte.
Cette page du bulletin mensuel de l’Union des aveugles de guerre présente le projet de loi d’indemnisation des soldats mutilés de guerre. Cette Union des aveugles de guerre est une association créée le 1er décembre 1918. Le bulletin est imprimé mensuellement et gratuitement dès janvier 1919 par les imprimeries Bauer et Dubois. Cette association a pour but de regrouper les mutilés aux yeux pour créer un réseau de soutien psychologique, humain et financier et leur permettre de reprendre leur place dans la société. Le 14 mars 1919, la Chambre des députés a adopté le projet de loi en faveur des mutilés de guerre. Le bulletin publie un tableau qui organise le versement de la pension d’invalidité totale selon les grades allant des soldats aux adjudants-chefs. Il est convenu par cette loi, que tous les soins médicaux seront prodigués aux soldats pour soigner leur handicap gratuitement. Pour les borgnes, la perte de leur deuxième œil pourrait leur faire bénéficier du taux d’invalidité totale (100%). Si l’un de ces soldats venait à disparaitre, sa famille pourrait recevoir une aide de l’État. Un deuxième tableau classe les différents niveaux de rémunération des veuves de soldat invalide. Pour chaque enfant de moins de dix-huit ans, la pension est majorée de 300 francs.
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Les Amis des Soldats Aveugles
Les Amis des Soldats Aveugles. Texte imprimé. Annuaires généraux de l’œuvre. Nancy ; Paris Imprimerie Berger-Levrault [19.. ?]. 8 P 9919. Coll. La contemporaine. Licence ouverte
« Les Amis des Soldats Aveugles » est une œuvre (c’est-à-dire une organisation à but social) déclarée d’utilité publique : un décret du 3 juillet 1916 signé par le Président de la République Raymond Poincaré reconnaît à l’organisation ce statut, ce qui lui confère des moyens d’action, une importance et une influence dans le débat public sur le plan national. L’extrait présenté ici est issu des annuaires généraux de l’œuvre pour les années 1915, 1916, 1917 et 1918, qui présentent notamment les statuts de l’œuvre, c’est-à-dire une suite d’articles présentant, par exemple, l’organisation interne de l’œuvre, sa réglementation et ses missions. L’article premier explique qu’elle « a pour but de venir en aide aux soldats aveugles par blessures de guerre, notamment de leur faciliter l’apprentissage et l’exercice d’un métier et de les aider à constituer une famille ». L’article V, présenté ici, détaille la composition du conseil qui administre l’œuvre. Le gouvernement, ainsi que l’ensemble de la société civile, y sont représentés : la cause des aveugles reçoit donc une reconnaissance publique dès les premières années du conflit, que les autres mutilés de guerre, par exemple les gueules cassées, ne se voient pas accorder aussi rapidement. La présence de représentants issus des ministères de l’Intérieur, de la Guerre, et du Parlement, témoigne également de la volonté de l’œuvre de se tenir au premier rang dans les débats politiques, pour influencer les décisions portant sur les aveugles de guerre.
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Le Journal des Soldats Blessés aux Yeux
Le Journal des Soldats Blessés aux Yeux. Texte imprimé. Paris. Union des aveugles de guerre. 1916-1919. 8 P 48. Coll. La contemporaine. Licence ouverte.
Le Journal des Soldats Blessés aux Yeux est un journal mensuel « exclusivement réservé aux soldats blessés aux yeux, à qui il est envoyé gratuitement, et aux personnes qui s’intéressent à eux », comme l’indique la page de garde de tous les numéros. Il est créé en 1916 par Eugène Briand, écrivain et membre de l’Académie française, que la situation sociale et professionnelle des soldats blessés aux yeux émeut particulièrement. Cet article liminaire détaille les objectifs de la publication du journal, résumés en quelques points :
- Créer du lien entre les aveugles, les structures de soins ou de rééducation et les associations organisant leur réinsertion sociale et professionnelle ;
- Créer un réseau de soutien entre les aveugles et leurs proches, pour diminuer leur isolement, et leur permettre de se faire connaître pour lancer leur activité professionnelle ;
- Permettre aux aveugles de s’exprimer sur leurs expériences et leurs idées, afin de se redonner mutuellement courage pour affronter leur nouvelle vie.
La présence d’une pensée positive au bas de chaque page éclaire sur la façon dont se formule le soutien moral prodigué aux blessés : il ne s’agit ni de les plaindre ni de s’apitoyer sur leur sort, mais au contraire, de leur transmettre de l’énergie et de l’optimisme.
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L’Étoile
Éliane Stern. L’Étoile : Journal fondé au profit des soldats aveugles (mars 1917 – juillet 1919), n°7, septembre 2017. F P RES 30. Coll. La contemporaine. Licence ouverte.
Éliane Stern a 9 ans lorsqu’elle crée et dessine le journal mensuel l’Étoile, publié de mars 1917 à juillet 1919. Ses articles témoignent du nationalisme anti-allemand de la société dans laquelle vit l’enfant. Éliane lance souvent des appels aux lecteurs pour qu’ils soutiennent, par le biais du journal, les soldats devenus aveugles. Dans le n°7 de septembre 1917 présenté ici, Éliane raconte sa rencontre avec un soldat, revenu au village parce qu’il est devenu aveugle, et qui, alors qu’il était cultivateur avant la guerre, s’est ensuite reconverti en fabriquant de brosses et de balais.
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Bibliothèque circulante
Année 1919 - Bulletin mensuel de l'Union des aveugles de guerre et journal des soldats blessés aux yeux (8 P 606)
Le bulletin de l’Union des aveugles de guerre soumet aux adhérents une liste des dernières publications littéraires en Braille pour permettre aux aveugles de continuer à lire. Elle met en place un système de bibliothèque circulante qui permet d’instaurer un système d’échange de livres entre les aveugles de guerre de plusieurs villes de France.
Depuis la création de l’écriture en Braille, quelques ouvrages seulement sont imprimés et donc accessibles aux aveugles. Il est alors important de permettre aux aveugles de guerre de pouvoir continuer d’avoir les activités qu’ils pratiquaient avant de subir leur handicap pour les aider à surmonter ce traumatisme. Un catalogue des œuvres empruntables est donc partagé aux lecteurs du bulletin de l’Union afin que les aveugles puissent choisir le livre qu’ils désirent emprunter pour le mois avec une possibilité d’augmenter la durée d’emprunt. Ceux-ci doivent alors envoyer une demande au siège de la bibliothèque circulante, Le Livre de l’aveugle, 5, place Pereire. L’ouvrage devra être renvoyé à la bibliothèque du Livre de l’aveugle, au 89, boulevard Berthier, à Paris.
Les livres demandés sont envoyés deux fois par mois, le 1er et le 15. Le prêt de livre est gratuit et les soldats aveugles peuvent demander que le coût du retour du livre soit remboursé.
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