La Première Guerre mondiale mobilise des millions de soldats sur les fronts, notamment dans le Nord et l’Est de la France, qu’il faut nourrir. Le ravitaillement des troupes françaises, coloniales et alliées sur le front français est rendu possible grâce à des restrictions et une mobilisation des civils.
Le besoin de nourriture à envoyer au front pour garder les soldats en forme tant physiquement que moralement entraîne de lourdes conséquences sur l’alimentation des civils, qui doivent faire face à partir de 1915 à une forte inflation des prix des produits alimentaires. Pour les foyers les plus modestes, cette inflation est très difficile à vivre et les actes de solidarité organisés par l’État ou par des particuliers sont nécessaires. Cette inflation se double de restrictions alimentaires, comme le recours aux tickets de pain à partir de 1917.
Le gouvernement français, pour limiter la consommation et permettre une bonne distribution des ressources, se lance dans de grandes campagnes de mobilisation des civils à l’effort de guerre. Le peuple est appelé à cultiver tous les terrains possibles pour enrichir l’offre alimentaire. Cette requête étatique est entendue partout dans le pays, et dans les jardins parisiens, les parcs des riches propriétaires, les cours d’école, fleurissent des potagers entretenus par des associations ou groupe de citoyens. Au-delà de la mobilisation, l’État tente d’aider les plus démunis par des actions sociales comme des subventions de repas distribuées dans Paris à partir d’août 1914.
Ce dossier, constitué à partir de documents issus des collections de La contemporaine, revient sur la participation des civils au ravitaillement des soldats sur le front. Il aborde aussi les conséquences qu’engendre la guerre sur habitudes alimentaires des populations de l’arrière.
Dossier réalisé par Hélène Leblanc, Oriane Pasquier et Eva Vigoureux, étudiantes de licence 3ème année, dans le cadre du parcours « Conduire un projet culturel avec les collections de La contemporaine ». Université Paris-Nanterre. Décembre 2018
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Les cartes d'alimentation
Economie de guerre, restriction, ravitaillement, France, 1914 – 1918. AFF 16934 – 17021. Coll. La Contemporaine.
Cet avis à la population de Paris, daté du 23 avril 1918, l’informe du fonctionnement de la carte d’alimentation pour deux aliments de base, le pain et le sucre, inscrits en gros caractères sur l’affiche.
En avril 1918, la France est en guerre depuis presque cinq ans et les capacités du pays à nourrir ses soldats et sa population civile se sont considérablement affaiblies. De plus, mars 1918 est marqué par le début des bombardements de Paris par un canon de longue portée appelé la « Grosse Bertha ». La population parisienne est alors particulièrement exposée à la pénurie de ravitaillement.
Cette pénurie touche tous les français, qu’ils soient soldats ou civils. Les années de guerre ont causé une grande diminution des rendements agricoles. L’approvisionnement en nourriture nécessite ainsi toute une organisation de la part du gouvernement afin que chacun puisse recevoir la quantité nécessaire à ses besoins. Il prend les mesures suivantes : d’abord en 1915, il assure le contrôle et la taxation des prix des aliments de bases (farine, sucre, céréales…) qui sont établis progressivement par une série de lois. Puis en 1917, il crée des cartes de pain, de sucre et de charbon. Enfin en 1918 il met en place le principe de la carte d’alimentation pour le pain et le sucre par la loi du 10 février 1918.Chacun doit être muni d’une carte pour obtenir les tickets qui lui permettra ensuite d’obtenir la ration qui lui est réservée en se rendant à des points de distribution très précis. On voit ici que cette procédure est marquée de plusieurs étapes qui requièrent de la part de l’administration un travail important de recensement et de contrôle des sections d’habitations. La population est divisée en 5 catégories définies à partir de l’âge et du travail fourni. A chacune de ces catégories est attribuée une ration particulière, qu’il s’agisse du pain ou du sucre. Des suppléments peuvent être accordés, notamment aux personnes de la catégorie T qui se livrent à un travail particulièrement éprouvant, ou encore à celles de la catégorie V qui auraient fait partie de la catégorie T s’ils n’avaient dépassé la limite d’âge.
Il est à noter que les rations sont celles du mois de mai 1918 et que par conséquent elles sont susceptibles de varier dans les mois qui suivent en fonction de la disponibilité des ressources alimentaires.
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Cuisiner en temps de restrictions
Prospectus publicitaire édité par « Le Cordon-Bleu ». Coll. La contemporaine, cote : 4 Delta 1630/1-2.
Ce prospectus, sous forme de livret, est à destination de femmes, comme le souligne le terme « Madame» au début du texte, et s’adresse probablement à une classe aisée. Il propose à la vente un livre de recettes, intitulé La cuisine des Restrictions, permettant de cuisiner de véritables repas malgré les restrictions imposées par l’Etat. Les restrictions apparaissent à partir de 1917, on peut donc supposer que le document est postérieur à cette date. L’écriture en italique ainsi que la formule d’appel (Madame) transforme le prospectus en une lettre élégante. La femme bourgeoise, issue d’un milieu aisé, semble être le premier public visé par l’entreprise Le Cordon-Bleu. La mention des « obligations mondaines » que la guerre ne peut pas supprimer évoque l’idée du milieu aisé. Cette classe sociale a été moins touchée au début de la guerre par l’inflation des prix et ses habitudes alimentaires ont donc été certainement moins modifiées que celles des classes plus modestes. Mais les fermetures obligatoires des boucheries ou des pâtisseries deux ou trois jours par semaine ainsi que les restrictions à partir de 1917 ont transformé plus en profondeur les manières de manger de la classe bourgeoise. Le livre de cuisine, indiqué dans ce prospectus au prix de 10 francs pour les femmes ne pouvant pas avoir accès aux cours de cuisine programmés par l’entreprise à Paris, leur propose de les aider à réapprendre à cuisiner malgré les complications dues à la guerre.
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Des restaurants à prix réduits
Photographie – Restaurant à prix réduit – VAL_385_075. Coll. La contemporaine.
Cette photographie prise en juin 1916 est issue des Albums Valois. La collection dite des Albums Valois a été constituée par la Section photographique de l’Armée (SPA) : un organisme créé en 1915 par le Ministère de la Guerre, le Ministère des Affaires Étrangères et le Ministère de l’Instruction Publique. Des photographes sont chargés de capturer les moments intéressants aussi bien d’un point de vue historique, qu’en vue de la propagande par l’image à l’étranger. La salle d’un restaurant à prix réduit, créé pour les artistes à La Feria, rue Fontaine, est ici photographiée. En effet, il existe à cette époque des restaurants réservés aux plus nécessiteux, aux réfugiés des pays envahis, au personnel des théâtres et aux artistes. En effet, une forte inflation des denrées s’est produite tout au long de la guerre : le hareng, qui n’est pas un poisson très rare, est trois fois plus cher en 1916 qu’au début de la guerre. De même, la viande de porc est réquisitionnée par l’armée tout au long de la guerre, devenant un produit pratiquement hors de portée pour les classes les plus modestes.
Ces restaurants leur apportent donc une aide précieuse. Ils sont parfois subventionnés par l’État. Les gens semblent souriants sur la photographie, le restaurant à prix réduit leur donne la possibilité, malgré la guerre, de conserver l’esprit convivial du restaurant où l’on se retrouve.
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Encourager tous les civils à produire
Affiche encourageant l’effort de guerre des civils de l’arrière sur les denrées alimentaires – lithographie (56x38cm), AFF 17025 – 17072, 1914 – 1918, Élément n°38. Coll. La contemporaine.
Cette affiche a été réalisée en 1916 dans le cadre d’un concours de dessins adressé aux écoliers français et supervisé par L’Union française, localisée au 285 Bd St Germain à Paris et plus précisément par le Comité National de prévoyance et d’économies. Elle est signée par « G. Douanne 16 ans » : une jeune fille de l’École des Filles de la Ville de Paris, Avenue Daumesnil.
La guerre est longue et la France manque de ressources alimentaires pour les troupes sur le front. Le gouvernement appelle l’arrière à réaliser un véritable effort de privation pour que les denrées soient envoyées aux soldats. La poule est l’investissement idéal pour les civils comme l’annonce le slogan jaune sur fond bleu : « Je suis une brave poule de guerre je mange peu et produits beaucoup ». La poule est bien en chair et couve une montagne d’œufs qui dépasse même du cadre. Mais elle n’a pas seulement l’avantage de produire beaucoup, elle est en bonne santé tout en mangeant faiblement. Un autre slogan placé en haut de l’affiche renchérit « Soignons la basse-cour ». La production individuelle des denrées permet aux civils de s’alimenter sans consommer la nourriture provenant de la production plus massive la réservant ainsi aux soldats du front. De plus, les civils peuvent envoyer au front leurs propres productions. Il est également possible d’émettre l’hypothèse que la poule représente symboliquement le civil exemplaire. À l’image de l’animal présenté ici bien en chair, gros producteur et faible mangeur, le civil doit être en mesure de produire beaucoup tout en mangeant modestement, en se privant.
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L'appel aux paysans
Recueil. Economie de guerre, restrictions, ravitaillement, France, 1914-1918. Affiches illustrées AFF 17025-17072. Coll. La contemporaine.
Réalisée en 1917 par l’illustrateur Georges Henri Hautot – dont on aperçoit la signature sur l’uniforme du soldat – cette affiche du Ministère de l’Agriculture est destinée aux civils de l’arrière. Elle les somme de participer à l’effort de guerre en semant des pommes de terre qui seront envoyées aux soldats. La pomme de terre est en effet la composante essentielle du plat de subsistance des soldats et des civils puisque ce tubercule n’a pas besoin de beaucoup de soins et se développe très vite.
La composition en diagonale de l’affiche sépare les civils de l’arrière, au deuxième plan, au soldat français de dos, en uniforme, qui occupe tout le premier plan et représente le front. Faisant face aux paysans, il a un geste de demande. Le fait qu’il soit de dos et donc dans l’anonymat, permet à tous ceux qui regardent l’affiche de reconnaître un proche, mari, père, fils partis à la guerre. Les quatre chevrons repérables sur son épaule indiquent qu’il a déjà passé deux ans au front, chaque chevron correspondant à une durée de 6 mois. Sa large carrure insiste sur son caractère protecteur, défenseur de la France, majoritairement rurale, représentée à l’arrière-plan de l’affiche par un village français. Elle insiste également sur la nécessité de nourrir les soldats qui ont besoin de force pour combattre. Agir pour les soldats c’est agir pour la France comme l’affirme le slogan. Les vieillards, les femmes et les enfants de milieu paysan sont ainsi mis à contribution pour assurer l’exploitation agricole. C’est à eux que s’adresse particulièrement cette affiche mais il est bon de préciser que tous les terrains peuvent être réquisitionnés pour la culture de pommes de terre et notamment les jardins publics des grandes villes.
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Des enfants sollicités
Affiche du Ministère de l’Agriculture, (1917), imprimeur DESVIGNES. Coll. La contemporaine, cote : AFF 16934-17021.
Cette affiche distribuée dans toutes les communes et certainement affichée dans les écoles, fait appel à la « main d’œuvre scolaire ». Les enfants sont considérés comme tous les autres citoyens adultes : eux aussi doivent contribuer à l’effort de guerre par leurs propres moyens. La campagne de l’Etat pour l’agriculture et la nourriture, via le Ministère de l’Agriculture, incite les enfants à ramasser les marrons et les châtaignes pour protéger les réserves de céréales. Les marrons, bien qu’ils ne soient pas une denrée comestible, et les châtaignes, doivent être ramassés car ils peuvent servir à l’industrie de guerre et ainsi préserver d’autres céréales comestibles. Ils sont utilisés pour produire de l’acétone, composant nécessaire à la guerre car il permet de fabriquer, entre autres, des explosifs. Le maïs et le riz, également utilisés pour la production d’acétone, peuvent alors être sauvegardés. Ce qui peut être considéré, en temps de paix, comme un jeu, devient une « tâche patriotique » utile à la sauvegarde du pays. La très faible rémunération (0,08 franc pour 1 kg) ajoute une motivation pour les enfants qui peuvent ainsi ramener quelques pièces en plus chez eux, ce qui n’est pas négligeable du fait de la forte inflation.
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